L’Informatique pour les Nuls et pour les Profs ou comment remettre l’Informatique à sa juste place ?

, par Patrice HARDOUIN

Les enseignants sont sans cesse critiqués pour leur immobilisme dans bien des domaines.

En ce qui concerne l’informatique, les enseignants sont-ils vraiment complètement largués face à des élèves baignant dans le numérique ?

Cet article a pour but de remettre l’usage de l’informatique en pédagogie à sa plus juste place.

Depuis des années on peut lire de nombreuses études et articles sur l’utilisation pédagogique de l’informatique.

Les différents aspects de l’informatique sont abusivement regroupés sous le nom de NTIC (Techniques [1] de l’Information et de la Communication), certains osent encore lui accoler le N de "Nouvelles" comme si ces techniques revêtaient encore quelque chose de nouveau !

Les cyber-natives et les cyber-migrants

Sous ces deux néologismes anglophones vous aurez reconnus les élèves (ou cyber-natives) et les profs (ou cyber-migrants). Ces deux expressions ne sont pas de mon cru mais proviennent d’une étude d’un sociologue [2].

Je vais résumer ici [3] cette étude :

  • les enseignants sont dépourvus face à leurs élèves à cause d’une fracture numérique ;
  • les élèves sont habitués (avec internet) à l’immédiateté ce que ne font pas les enseignants ;
  • les enseignants ne peuvent plus enseigner correctement à leurs élèves car ils ne maitrisent pas suffisamment l’outil informatique ou ne l’ont pas assimilé comme faisant partie intégrante de leur vie quotidienne.
  • En bref, pour pouvoir se faire entendre de leurs élèves, les profs doivent mettre en place des pédagogies plus dynamiques et réactives (pour représenter cette "dynamique" le sociologue parle alors de l’exemple d’une recherche sur internet qui donne une foultitude de réponses immédiatement).

Une pédagogie plus "immédiate"

Ce qui me fait toujours rigoler lorsque je lis les propos des "spécialistes" de la pédagogie c’est souvent leur méconnaissance du système éducatif dans son ensemble. De plus, j’ai franchement l’impression qu’ils ne parlent que de ce dont ils se souviennent et leur fond de recherche semble constitué essentiellement du vécu qu’ils ont eu en tant qu’élèves... il y a 20 ans !

Même s’il existe encore quelques "vieux" profs ringards qui n’ont même pas appris à utiliser un minitel en ses heures de gloire, la majorité des enseignants baigne tout de même dans l’ère numérique et bien peu n’ont ni téléphone portable ni internet à domicile. La seule différence serait alors qu’ils ne sont pas nés avec ces techniques. Cette différence fait-elle forcément de ces enseignants "des profs largués" ?

Et quand bien même certains profs n’auraient pas accès à ces techniques (par idéologie ou par désintérêt), cela doit-il forcément sous-entendre que ce sont de mauvais enseignants ?

Une pédagogie par les compétences

Des enseignants qui intéressent leurs élèves, vous savez que ça existe déjà ! Je vous parles ici des filières agricoles et professionnelles qui forment et évaluent leurs élèves sur des compétences depuis des années.

La formation et l’évaluation des compétences est quelque chose qui arrive progressivement dans les enseignements généraux (collège, lycée). Cette vision de la pédagogie permet de dynamiser les cours et d’intéresser les élèves. Pour cela il n’y a pas forcément besoin d’être un spécialiste en informatique il suffit de mettre au point des situations de cours claires et parlantes suivies d’exercices de mise en pratique des compétences (basées sur ces situations de départ).

Et je peux vous dire que ça marche ; les élèves sont intéressés et accrochent (autant que faire se peut évidemment : dans les ZEP ou assimilées c’est un peu plus difficile à mettre en œuvre qu’ailleurs).

Des élèves intéressés par l’informatique ?

Ce qui me laisse pantois c’est lorsque je lis que les élèves sont intéressés par l’informatique. Or ce qui les intéresse c’est, avant tout, d’utiliser quelque chose de différent (d’où mon paragraphe sur les supports pédagogiques un peu plus loin).

Dans une classe vous aurez les bons cyber-natives (communément appelés les "bons élèves") et les moins-bons cyber-natives (également habituellement appelés les "moins bons élèves"). Ainsi, les bons cyber-natives s’intéresseront à un cours numérisé alors qu’un moins-bon cyber-native trouvera qu’il s’agit là, ni plus ni moins, d’un travail scolaire de plus et qu’il va falloir réfléchir [4].

Certains "sociologues" de la pédagogie vous parleront de l’aptitude au jeux vidéos de nos élèves. Mais sur quoi se basent-ils ? Dans mes classes je n’en ai que les deux tiers qui avouent jouer aux jeux vidéos (essentiellement les garçons) et, pour la moitié d’entre eux, uniquement 1 à 2 fois par semaine. Et vous savez ce qu’ils en disent : "c’est trop dur" ou "c’est tout le temps la même chose" alors ils préfèrent trainer dans la rue à discuter [5]. Quand aux autres, qui avouent ne pas jouer aux jeux vidéos, ils expliquent que cela ne les intéresse pas, tout simplement.

Concernant les jeux vidéos, je pense que ces jeux ne sont pas une voie d’entrée vers l’informatique contrairement à une idée commune dans les médias et le grand public. Très nombreux sont les jeunes qui ne savent pas utiliser un traitement de texte alors qu’ils sont les meilleurs au monde dans leur shoot-them-up fétiche. Je trouve que considérer les jeux vidéos comme une voie d’entrée vers l’informatique est un peu comme penser que la cigarette mènerait aux drogues dures, cela me laisse dubitatif.

De l’utilisation de l’ordinateur

L’ordinateur n’est qu’un outil (pédagogique) parmi tant d’autres. Qu’il soit utilisé ou non par l’enseignant ne présage pas de la capacité de ce dernier à distiller des connaissances et à enseigner des compétences.

Lorsque je vois la création de sections d’enseignement "multimédia" où les élèves sont confrontés à un ordinateur à chaque heure de cours (ou, tout au moins, plusieurs fois dans la même journée), alors là je m’inquiète. Je me moquerai même des enseignants se prêtant à ces pratiques autant que je me moquerai des enseignants n’utilisant que le tableau noir sans jamais user de rétroprojecteur ou de téléviseur. La multiplicité des supports fait toujours ses preuves dans l’apprentissage des élèves et l’utilisation omniprésente des ordinateurs est, à mon avis, une ineptie.

Néanmoins, l’ordinateur est un outil prodigieux qu’il convient d’intégrer dans sa pédagogie. C’est d’ailleurs devenu une obligation jusqu’au lycée avec l’évaluation des compétences du B2I. Je vous invite d’ailleurs prendre connaissance de l’article à ce sujet sur ce site pour savoir comment intégrer l’apprentissage et l’évaluation des compétences du B2I dans le cadre des enseignements de Biotechnologies.

Besoin de temps pour l’informatique

Chacun d’entre nous l’aura bien compris : si l’on veut pouvoir proposer aux élèves des méthodes pédagogiques basées sur l’informatique il va falloir y consacrer du temps... et beaucoup de temps.

Au delà des compétences de base que l’enseignant devra acquérir il y a surtout le fait que la création numérique est très gourmande en temps. Créer un cours d’e-learning complet sur Claroline par exemple prendra 5 fois plus de temps que le même cours classique (avec ses exercices, ses TD et sa trace écrite élèves). Un cours informatisé, aussi intéressant soit-il, demande beaucoup plus de réflexion et de travail qu’un cours papier. En plus de devoir saisir et numériser certaines informations, il faudra prendre en considération le fait que l’élève pourra choisir lui-même sa manière et sa vitesse d’apprentissage. Il faut donc planifier un minimum cette autonomie relative de l’élève. Il faut prendre également en compte le fait qu’on peut présenter aux élèves un cours papier non finalisé (que l’on finalisera sur place, même si ce n’est pas un exercice à recommander !) alors que sur Claroline il faudra que tout soit fait (du cours à l’évaluation en passant par les exercices et le parcours pédagogique) avant que l’élève n’y mette son nez.

Je tiens à préciser que le temps que l’on passe en plus à concevoir des cours informatisé représente autant de temps en moins à mettre à jour ses connaissances propres à ses matières d’enseignement (cela fait également partie de nos obligations).

Ces dernières années, j’ai passé énormément de temps à appréhender, comprendre et assimiler des dizaines de logiciels et philosophies liées à l’informatique [6] et j’ai perdu énormément en connaissances scientifiques. Force est de constater que je ne suis plus à jour de mes connaissances en Biologie et Biotechnologies alors que je maitrise de nombreux aspects de l’informatique.

Le gouvernement actuel nous demande de faire davantage d’heures d’enseignement (présence élève en heures supplémentaires par exemple) alors que nous avons besoin de plus de temps pour appréhender et concevoir nos outils pédagogiques basés sur les TIC. Car, il faut bien le comprendre, les outils informatique pédagogiques n’existent qu’en partie. Il faut, si ce n’est les créer, au moins se les approprier et ce n’est pas une mince affaire.

Heureusement, nous perdons de moins en moins de temps à étudier les outils informatiques qui pourraient nous intéresser dans nos pédagogies. De plus en plus de ressources sont disponibles grâce au monde des logiciels libres. Nous gagnons donc un temps précieux lorsque nous nous orientons directement vers des outils, des ressources ou des logiciels libres de droits. Dans le monde du libre, la documentation technique est importante et l’entraide est véritablement présente au sein de la communauté.

Il n’y a pas à hésiter : L’informatique pédagogique... d’accord, mais l’informatique libre (sans excès et sans négliger les autres outils pédagogiques) !

P.-S.

à lire également sur ce site : Quelle informatique pour les Biotechnologies ?

Notes

[1Notez que j’ai volontairement usé du mot "techniques" en lieu et place du désormais traditionnel "technologies" : cette correction me parait importante et fait déjà descendre l’informatique d’une marche de son piédestal tout en corrigeant une erreur de non-sens en français.

[2Ce travail a été relayé par la revue Le Monde de l’Éducation avec un très fort parti pris du "journaliste" et, visiblement, un manque crasse de connaissance du système éducatif français dans son ensemble.

[3résumé qui ne caricature qu’un petit peu l’étude du sociologue incriminé

[4en tout cas il faut réfléchir davantage qu’assis devant la télévision ou a discuter avec ses amis

[5dans la rue avec les copains, au moins, ils arrivent à dire des choses qui les font rires !

[6sans oublier la perte de temps dans des formations continues exclusivement dédiées à des logiciels privés comme MS Excell... À quel moment les formations continues formeront au tableur plutôt qu’à un logiciel spécifique et de surcroit privé ?